Samuel Bondjock , physiquement agressé à Bangangté, judiciairement harcelé à Yaoundé
Journaliste et directeur de publication de Direct de L’info, il pourrait encourir une condamnation pénale allant de six jours à six mois de prison… Aimée Djagué de Radio Site d’Art à Bafang et Guy Tafen de Actu Menoua se trouvent aussi dans les mailles de la justice pénale. La faute au législateur camerounais qui n’a pas encore acté la dépénalisation des délits de presse.
Ahmadou Sardouna, commis de l’Etat et directeur général de la Société immobilière du Cameroun (Sic), poursuit en diffamation Samuel Bondjock, journaliste et directeur de publication du journal Le DIRECT DE L’INFO. Le plaignant qui a fait servir par voie d’huissier, courant ce mois de mars 2022, une citation directe à l’homme des médias demande qu’il comparaisse, en date du 10 mars 2022, devant le tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif statuant en matière correctionnelle et sollicite sa condamnation. Lors de la première audience fixée au 24 mars dernier, le journaliste était absent. Le juge a renvoyé l’affaire au 26 mai 2022.
Pour soutenir sa demande, le commis de l’État, Ahmadou Sardouna, fait savoir qu’en date du 1er décembre 2021, le journaliste a publié des informations suivant lesquelles il y avait des « constructions anarchiques, des nuisances sonores et la prolifération de bars sur le site d’Olembe.» Une situation ayant poussé « Célestine Kectha Courtés, ministre de l’Habitat et du développement urbain, a effectué une descente forcée sur le site en date du 30 novembre 2021 ».
« Empêché d’exercer »
Samuel Bonjock, défendu par l ‘avocat Me Georges Ngnyé, estime qu’on veut l’empêcher d’exercer son métier de journaliste.» « J’ai fait un compte rendu de la descente conjointe de madame la ministre de l’Habitat et du développement urbain (Minhdu) et du directeur général de la Sic sur le site des logements sociaux à Olembé. Ma démarche a été professionnelle. J’ai parlé de ce qui a été constaté sur
le terrain. Les récriminations en question ont été faites en présence du directeur général de la Sic. L’audience initialement fixée au 10 mars a été ajournée au 24 mars, juste pour m’empêcher de couvrir les activités de l’an 37 du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) à Bangangté. J’ai été menacé par l’avocat du directeur général de la Sic. C’est une forme d’intimidation pour me faire taire. Le 28 mars dernier, le même directeur général de la Sic m’a servi une seconde citation directe pour d’autres faits…», explique-t-il. D’ailleurs, il semble vivre ces jours-ci avec beaucoup de prudence. « Même ici à Bangangté, je reste prudent. Courant le mois d’octobre dernier, en compagnie de quelques confrères, j’ai été copieusement bastonné à la maison du parti de Bangangté par des gros bras, des personnes inconnues. Ces agresseurs ont arraché mon téléphone portable, un outil multimédia qui me permettait de travailler partout… » dénonce-t-il. Une plainte a été déposée, et jusqu’à présent l’enquête n’a pas avancé.
Dépénaliser la diffamation
Au-delà de ces faits crapuleux, se pose la question de la dépénalisation des délits de presse défendue par le Réseau des patrons de presse du Cameroun, le Repac, sous la présidence de François Mbocke, directeur de publication du journal Diapason. Des membres de cette organisation ont rencontré, le 30 mars dernier, le Directeur de la Sic afin qu’il retire sa plainte et que l’affaire soit portée devant le Conseil national de la Communication ou qu’elle connaisse un « arrangement amiable ».
Pour les défenseurs de la dépénalisation, il s’agit de faire appliquer par l’État du Cameroun le Principe 22 de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique qui demande aux Etats « d’abroger les lois qui criminalisent la sédition, les insultes et la publication de fausses nouvelles, d’abroger également celles sur la diffamation et la calomnie en faveur de sanctions qui doivent être nécessaires et proportionnées ». Précisant que « des peines privatives de liberté pour diffamation et calomnie sont des atteintes au droit à la liberté d’expression ».
Ce texte va à l’encontre de l’article 305 du code pénal Camerounais (Loi n° 93/013 du 22 décembre 1993), toujours en vigueur. Abordant
le cas de la personne reconnue coupable de diffamation, cet article prévoit en effet : « l’emprisonnement de six jours à six mois et d’une amende de 5.000 à 2 millions de francs ou de l’une de ces deux peines seulement celui qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne en lui imputant directement ou non des faits dont il ne peut rapporter la preuve. Il ajoute : « Ces peines s’appliquent également aux auteurs de diffamation commise par voie de presse écrite, de radio ou de télévision, sans préjudice du droit de réponse et du devoir de rectification. »
L’insécurité des journalistes
Dans ce contexte de non application des normes internationales, de nombreux journalistes sont victimes d’intimidation et de menaces judiciaires dans plusieurs villes du Cameroun. C’est notamment le cas de Guy Tafem, collaborateur du journal et du site internet ACTU MENOUA. Il est actuellement poursuivi pour injure devant le tribunal de première instance de Dcshang. Aimé Djagué, chef de chaîne de radio Site d’art Bafang, fait aussi l’objet de poursuites judiciaires au tribunal de première instance de Bafang.
Patron du Regroupement des médias citoyens, Gustave Flaubert Kengne, estime que « L’Etat du Cameroun n’intègre pas suffisamment dans sa politique législative, via la dépénalisation des délits de presse et la prise des mesures pour la sécurité des journalistes, la promotion, la protection et l’interprétation de l’article 9 de la Charte africaine sur le droit à l’information de tout individu… »
Il se réfère au Principe 21 de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique concernant la protection de la réputation :
« 1.Les États veillent à ce que les lois relatives à la diffamation soient conformes aux normes suivantes :
a) Nul ne peut être jugé coupable pour avoir fait des observations véridiques, donné son avis ou fait des déclarations qu’il était raisonnable de faire dans les circonstances données ;
b.Les personnages publics sont tenus de tolérer plus de critiques;
c.Les sanctions ne sont jamais sévères au point d’entraver le droit à la liberté d’expression.
2.Les lois garantissant le respect de la vie privée et le droit au secret n’entravent pas la diffusion d’informations d’intérêt public. »
Une position que veut relativiser Hyppolite Tchoutezo, assesseur au tribunal de Bafoussam : « Les journalistes doivent pénalement répondre de leurs actes. Ils doivent savoir qu’une critique non fondée peut détruire une vie ou une carrière politique. »
Guy Modeste DZUDIE(JADE)