Le Président de la République depuis novembre 1982 et président national du Rdpc, a pris une circulaire fixant les modalités d’investiture des candidats.
Dans ce texte en date du 18 janvier 2023, Paul Biya présente la qualité de membre qui peut se présenter au nom du parti aux élections sénatoriales du 12 mars prochain. Il parle du respect des composantes sociologiques. Mais rien n’est dit au sujet des peuples autochtones du Cameroun, reconnus par l’Onu.
Convoqué au poste de gendarmerie de Bantoum, le lundi 30 janvier 2023, Amadou Lago, chef de la communauté Mbororo du lieu-dit « Projet route du Noun » à Bangangté, parait décontenancé après toute une journée passée chez les gendarmes. Selon des informations parvenues à Journalistes en Afriques pour le développement (Jade), il a été sommé de payer 130.000 FCFA (cent trente mille francs Cfa) à un agriculteur parce que dit-on, ses bœufs ont détruit des cultures dans une plantation. Impuissant, il a accepté de payer cette somme afin que son berger ne soit pas jeté en cellule. Il déplore le fait qu’au sein de sa communauté d’origine, il n’existe aucun parlementaire (député ou sénateur) qui puisse poser la question de la réforme de la loi foncière à l’Assemblée Nationale ou au Sénat afin que les bergers Mbororos ne soient plus victimes des abus liés aux mouvements de leurs animaux dans les zones délimitées à tort ou à raison zones agricoles…
« Il faut que le chef de l’Etat fasse quelque chose afin que les Mbororos soient représentés au parlement. Ils sauront plaider pour les minorités. Je souhaite qu’un des nôtres soit présenté aux élections sénatoriales de mars 2023 », soutient-il. Amadou Lehrer, conseiller municipal à la commune de Bafoussam Ier, s’inscrit dans la même logique. « La figuration politique ne doit plus être notre affaire. Nous voulons siéger aussi l’Assemblée nationale ou au Sénat. J’ai déjà porté cette cause à la direction de mon parti, le Sdf. Nous sommes en 2023, cela fait 10 ans que le Sénat fonctionne au Cameroun.
Jamais un Mbororo n’a siégé au sein de cette Assemblée. Pour cette troisième mandature, il faut que les choses changent. Un des nôtres doit être investi par l’un des partis dominants ou désigné au rang des 30 sénateurs nommés par le Président de la République » déclare-t-il. Amadou Ahidjio Yerima originaire de la communauté Mbororo de Didango dans le département du Noun, mène aussi ce combat. Et milite activement dans les rangs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) pour exprimer cette cause à la hiérarchie de son parti. Il dénonce le système de cooptation et de parrainage qui semble travestir les orientations du Président Paul Biya en matière d’investiture au sein du Rdpc. D’où l’exclusion permanente dont sont victimes les Mbororos.
Discriminations ethniques systémiques
Seulement, les différentes récriminations ou réclamations des membres de la communauté Mbororo semblent ne pas encore porter des fruits. Le mardi 24 janvier dernier, Sylvestre Ngouchinghé, sénateur sortant de la région de l’Ouest a bouclé la liste des candidats à investir pour les prochaines consultations électorales. Au nom du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), la commission régionale de présélection des candidatures présidées par Emmanuel Nzété a reçu les dossiers des postulants à la fonction de sénateur à la Maison du parti Rdpc de Bafoussam. Sur les sept candidats proposés à la hiérarchie du comité central de ce parti ne figure le nom d’aucun membre de la minorité Mbororo, pourtant présente et sédentarisée depuis près de 50 ans dans les huit départements. Françoise Puéné dit Mamy Nyanga, une autre candidate à l’investiture n’a, elle aussi, pas tenu compte de l’intégration d’un membre de la minorité Mbororo sur sa liste des candidats à l’investiture. Amadou Ahidjio Yérima, militant du Rdpc depuis des décennies, a cherché en vain d’approcher Sylvestre Ngouchinghé pour solliciter son entrée dans sa liste. Déjà en 2013, Amadou Ahidjio Yerima, s’était battu sans succès lors des primaires sénatoriaux au sein du Rdpc. L’Union démocratique du Cameroun(Udc) et le Front social démocrate (Sdf en anglais) semble briller aussi par la négation des candidatures Mbororos. Le secrétaire général du Comité Central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais a présidé une réunion à cet effet au Palais des Congrès de Yaoundé le 20 janvier 2023. Il a instruit aux émissaires du comité central sur le terrain de tenir compte du « mérite », de la «conviction», et de la « représentativité » des postulants. Ils doivent aussi être en règle avec la loi et le parti. Le président national du Rdpc, a pris une circulaire fixant les modalités d’investiture des candidats. Dans ce texte en date du 18 janvier 2023, Paul Biya présente la qualité de membre qui doit se présenter au nom du parti aux élections du 12 mars prochain. « Le parti accorde son investiture aux militantes et militants méritants, convaincus et convaincants, aptes à le représenter valablement au Sénat, remplissant les conditions individuelles et collectives internes et obéissant aux critères définis par la loi », indique le document signé par Paul Biya.
A cet effet, deux catégories de conditions sont à remplir : les conditions individuelles et les conditions collectives. Pour ce qui est des conditions individuelles, elles sont tantôt légales, tantôt fixées par le parti. Les critères légaux d’éligibilité sont contenus dans les articles 156 à 163 et l’article 220 de la loi N°2012/001 du 19 avril 2012 modifiée et complétée par la loi N°2012/017 du 21 décembre 2012. Ils sont complétés par les critères individuels fixés par le Rdpc Le candidat ou la candidate qui sollicite l’investiture du Rdpc doit « remplir trois conditions fixées par le parti. Il s’agit d’être militant actif ou militante active du Rpdc ou de l’une de ses organisations spécialisées, être à jour de ses cotisations et s’en être acquitté régulièrement depuis la dernière élection des sénateurs et sénatrices ; remplir les conditions de discipline requises »
Quant aux conditions collectives, elle concerne la liste de candidats à investir. Rien n’est dit à propos de l’intégration des minorités tribales à l’instar des Mbororos et pygmées Baka. Cette exclusion est contraire au préambule de la Constitution. Ce texte établit que « l’État assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi», mais sans mentionner les catégories spécifiques qui correspondent aux minorités ou aux populations autochtones. Les lois et réglementations sur la décentralisation et les élections protègent également les droits des minorités en exigeant que les listes de candidats reflètent le paysage sociologique des circonscriptions ou qu’un maire ou président de conseil régional soit né dans la circonscription. Le gouvernement a pris des mesures pour faire appliquer ces dispositions, mais certaines formes de discrimination ont persisté.
Exclusions multiples des autochtones
Sur la base des critères d’identification des populations autochtones figurant dans la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail et le Rapport du groupe de travail sur les populations/communautés autochtones de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, les groupes pouvant être considérés comme autochtones au Cameroun sont les Mbororos et les Bakas. Selon les estimations, 50 000 à 100 000 Bakas, dont des Bakolas et Bagyelis, vivaient principalement dans les zones forestières des régions du Sud et de l’Est (dont ils sont les premiers habitants connus). Le gouvernement n’a pas véritablement protégé les droits civils et politiques de ces groupes. Selon des signalements crédibles d’ONG, les Mbororos, éleveurs nomades vivant principalement dans les régions du Nord, de l’Est, de l’Adamaoua et du Nord-Ouest, ont continué à faire l’objet des exclusions multiples du jeu politique et de divers harcèlements, parfois avec la complicité des autorités administratives ou judiciaires. L’Association de développement social et culturel des Mbororos est d’avis que l’Etat du Cameroun ne peut pas parler de « protection des minorités » sans prendre en considération les questions sous-jacentes à la pleine expression de la démocratie. Il en est de même pour la philosophie des droits de l’homme. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est ainsi violé. Car son Article 25 dispose : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables:
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;
c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.»
La Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, élaborée sous l’égide de l’Organisation des nations unies, souligne en son Article 4 : «1. Les Etats prennent, le cas échéant, des mesures pour que les personnes appartenant à des minorités puissent exercer intégralement et effectivement tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales, sans aucune discrimination et dans des conditions de pleine égalité devant la loi […]. 5. Les Etats devraient envisager des mesures appropriées pour que les personnes appartenant à des minorités puissent participer pleinement au progrès et au développement économiques de leur pays. »
Guy Modeste DZUDIE